Enregistré le 1er septembre 2015, à Londres, R.-U.
Le Pr Bruckert décrit les étapes clés de la prise en charge des patients qui se plaignent de douleurs musculaires sous statines.
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Transcription
Bonjour, mon nom est Éric Bruckert et je dirige le service d’endocrinologie et métabolisme à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Au cours du congrès de la Société Européenne de Cardiologie, il y avait une session consacrée à la prise en charge des patients qui ont des douleurs musculaires sous statines, et j’aimerais résumer les éléments clé de cette session.[1]
En pratique clinique, lorsqu’on est face à un patient qui se plaint de douleurs musculaires sous statine, il y a 4 étapesà considérer:
Est-ce vraiment un effet secondaire lié aux statines ?
Y a-t-il des facteurs favorisant ces douleurs sous statines, et peut-on corriger ces facteurs ?
Quelle est la stratégie thérapeutique avec les médicaments actuellement disponibles ?
Évaluer le bénéfice/risque et envisager dans les années à venir, l’utilisation de nouveaux médicaments hypocholestérolémiants.
La douleur est-elle vraiment liée aux statines ?
Revenons sur la première étape, c’est-à-dire, est-ce qu’il s’agit vraiment d’une douleur liée aux statines? Il y a un score clinique qui a été proposé par des spécialistes américains pour essayer de voir si ce que décrit le patient est vraiment en rapport [avec les statines]. Il est disponible assez facilement [2], et voici les éléments clé:
Lorsqu’il y a des symptômes de type courbatures, fatigue, douleur, qui sont symétriques, qui touchent les gros muscles, qui surviennent dans les deux semaines qui suivent le début du traitement et qui disparaissent dans les deux semaines après l’arrêt du traitement: la probabilité d’avoir un effet secondaire lié aux statines est très élevé.
À l’inverse, si les douleurs sont localisées, surviennent plus d’un mois après le début du traitement et ne disparaissent pas à l’arrêt du traitement: la probabilité que ce soit lié à la statine devient très faible.
Les facteurs favorisants les douleurs
La deuxième étape est de savoir s’il y a des facteurs favorisant ces douleurs musculaires. Il existe une liste de facteurs connus. Cette liste est d’ailleurs disponible dans le consensus statement de la Société Européenne d’Athérosclérose, qui a été publié récemment. [3]
Parmi les facteurs de risque, il y a bien sûr ceux qui ne sont pas modifiables mais qu’il faut connaître. Par exemple, le fait d’être une femme avec un petit index de masse corporelle est un facteur de risque de douleur musculaire.
Il existe également des facteurs modifiables et donc très importants à connaitre pour la pratique quotidienne. Ce sont principalement les interactions avec les autres médicaments et des produits alimentaires, comme par exemple le jus de pamplemousse.
Juste un petit mot sur cette interaction avec le jus de pamplemousse parce qu’on en parle souvent[4]: elle est dose-dépendante, elle dépend de la quantité de jus de pamplemousse consommée et du type de jus de pamplemousse. Elle dépend également de l’horaire auquel on a consommé le jus de pamplemousse par rapport à la prise de statine. Donc, en pratique, si le patient consomme du jus de pamplemousse plus de 12 heures après ou avant la prise de statines, il y a peu d’interaction. De plus, cette interaction est principalement observée avec la simvastatine et un peu avec l’atorvastatine. Et surtout, je pense que ce qui est vraiment important de savoir, c’est que cette interaction est très variable d’une personne à l’autre. Dans les études qui ont été réalisées, par exemple avec la simvastatine, on observe une multiplication par deux à neuf du taux circulant de statine. Ce qui est également important à comprendre pour la pratique quotidienne, c’est que lorsqu’il y a une interaction avec un médicament ou avec du jus de pamplemousse (ou de canneberges), on peut avoir une multiplication très importante du taux circulant de la statine. Par contre on n’a pas forcément une modification de l’efficacité puisque l’efficacité de la statine est liée à son action hépatique, mais n’est pas forcement corrélée au taux circulant, qui lui, est corrélé au risque d’effets secondaires.
Bien sûr il y a des interactions avec les statines qui ont un métabolisme CYP3A4 (comme l’atorvastatine, la simvastatine) et d’autres pour lequel il n’y a pas ces interactions, notamment celles qui n’ont pas un métabolisme très dominant par CYP3A4. C’est la même chose pour les interférences médicamenteuses.
Parmi les autres facteurs de risque, il y a la carence importante en vitamine D. En effet, on sait qu’une grande déficience isolée en vitamine D (sans traitement) peut entraîner des douleurs musculaires, une diminution de la force musculaire et il y a même quelques cas de rhabdomyolyse qui ont été décrits. [5] Dans des observations isolées, il a été montré que lorsqu’on a une carence en vitamine D et qu’on prend un traitement par statine, cela peut majorer les douleurs musculaires. Une étude récente a montré que lorsqu’on supplémentait des patients avec de la vitamine D, on corrigeait cette déficience et 80% des patients étaient ensuite capables de prendre de la statine. Il s’agissait d’une étude en ouvert mais je pense que c’est intéressant pour la pratique. [6]
Stratégie thérapeutique
Donc la troisième étapeest: Qu’est-ce qu’on peut faire pour ces patients? Le message clé est le suivant:
Premièrement, il faut discuter et rassurer le patient.
Deuxièmement, il faut essayer plusieurs statines (au moins trois statines compte-tenu de leur métabolisme très différent), et à mon avis, il faut probablement aussi essayer la fluvastatine qui est moins puissante mais qui est associée à moins d’effets secondaires musculaires. Donc il ne faut pas hésiter à multiplier les essais avec les statines.
Ensuite, les effets secondaires musculaires étant extrêmement dépendants de la dose, il faut essayer de trouver la dose qui convient au patient et ne pas hésiter à diminuer les doses chez ceux qui sont vraiment intolérants musculaires – éventuellement on peut même prescrire des doses qui sont en-dessous des doses classiques. Bien sûr, par la suite, il y a les combinaisons thérapeutiques avec l’ézetimibe, avec les résines. Ces combinaisons thérapeutiques permettent d’augmenter l’effet sur le cholestérol.
Toute cette stratégie doit aussi être intégrée dans la notion que la bonne pratique clinique est toujours d’évaluer le rapport bénéfice/risque. Si on a des patients qui sont en prévention secondaire, il faut vraiment tout faire pour qu’ils prennent une statine parce que la perte de chance en terme de risque de récidive est importante. À l’inverse, si on a des patients qui sont dans le bas du risque intermédiaire, et bien il faudra alors se poser la question: Faut-il vraiment continuer un traitement qui donne un inconfort de vie significatif ?
Dans le consensus de la Société Européenne d’Athérosclérose, il est indiqué qu’il n’y a pas lieu de faire de supplémentations avec le coenzyme Q10. [3] Effectivement, quand on regarde la littérature, le coenzyme Q10 n’a pas démontré de preuve d’efficacité dans des études à double aveugle - six études et une méta-analyse ont été réalisées. Il n’y a pas de diminution des CPK ou des douleurs musculaires lorsqu’on donne du coenzyme Q10 par rapport à un placebo. [7]
En pratique, il reste un certain nombre de patients pour qui on a tout essayé et pour qui l’objectif thérapeutique est loin d’être atteint. Je pense que pour ces patients, les nouveaux médicaments hypocholesterolémiants [comme les anti-PCSK9] pourront constituer un vrai «plus».
Références:
1. My patient with muscle pain cannot get to goal with statins, what should I do? European Society of Cardiology Congress . Session: Cardiovascular prevention: interventions and outcomes / Is there really statin intolerance and how do we manage it? FP 1223. Septembre 2015, Londres, R.-U.
2. Guyton JR, Bays HE, Grundy SM et al. An assessment by the Statin Intolerance Panel: 2014 update. J Clin Lipidol. 2014 May-Jun;8(3 Suppl):S72-81.
3. Stroes ES, Thompson PD, Corsini A etal. Statin-associated muscle symptoms: impact on statin therapy-European Atherosclerosis Society Consensus Panel Statement on Assessment, Aetiology and Management. Eur Heart J. 2015;36(17):1012-22.
4. Reddy P, Ellington D, Zhu Y et al. Serum concentrations and clinical effects of atorvastatin in patients taking grapefruit juice daily. Br J Clin Pharmacol. 2011;72(3):434-41.
5. Palamaner Subash Shantha G, Ramos J, Thomas-Hemak L, Pancholy SB. Association of vitamin D and incident statin induced myalgia--a retrospective cohort study. PLoS One. 2014 Feb 19;9(2):e88877.
6. Khayznikov M, Hemachrandra K, Pandit R et al. Statin Intolerance Because of Myalgia, Myositis, Myopathy, or Myonecrosis Can in Most Cases be Safely Resolved by Vitamin D Supplementation. N Am J Med Sci. 2015;7(3):86-93.
7. Banach M, Serban C, Ursoniu S et al. Statin therapy and plasma coenzyme Q10 concentrations-A systematic review and meta-analysis of placebo-controlled trials. Pharmacol Res. 2015;99:329-36.
8. Banach M, Serban C, Sahebkar A et al. Effects of coenzyme Q10 on statin-induced myopathy: a meta-analysis of randomized controlled trials. Mayo Clin Proc. 2015;90(1):24-34.
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